Déesse et Nature
LE PHENIX
C'est ainsi que le mythe indo-égyptien de l'œuf de myrrhe de l'oiseau phénix peut être compris dans un sens profond. Les interprétations formulées jusqu'au aujourd'hui ont confirmé la relation de ce mythe, déjà si clairement perçue par les Anciens, avec le soleil ainsi qu'avec la " grande année " du phénix ou de Sothis : l'oiseau meurt et c'est une nouvelle ère qui commence, un novus saeclorum ordo (une nouvelle série de siècles) . On s'est beaucoup arrêté sur les détails du mythe, ou sur les multiples attributs de l'oiseau miraculeux. Mais il est un point que l'on a pas du tout pris en considération : le rapport du soleil avec le droit paternel. Dans ce mythe solaire, il n'est pas question de mère, mais seulement de père. Au père succède un fils, qui sans cesse, par lui-même, se renouvelle. Dans le temple d'Héliopolis, sur l'autel du dieu soleil suprême, l'oiseau miraculeux dépose son fardeau. Avec la myrrhe il a formé un œuf. Il le creuse puis y cache son père. Il recolle l'ouverture, et l'œuf n'est pas plus lourd qu'auparavant. L'œuf représente le principe maternel de la nature, dans lequel tout a naissance, et dans lequel tout retourne à sa fin. Et pourtant, dans ce cas, l'œuf n'est plus le fondement ultime des choses. Il reçoit son fruit d'une force plus haute, celle du soleil. La vis genitalis (force fécondante), grâce à laquelle apparaîtra le fœtus (la progéniture), a été implanté en lui par le soleil. C'est ainsi que s'exprime Tacite. Sous cette influence l'œuf ne devient pas plus lourd ; car la force procréatrice du soleil est incorporelle et parfaitement immatérielle. C'est ainsi que le stade le plus haut de la puissance naturelle masculine se distingue du plus bas, dont l'eau matérielle constitue le support physique. Cependant le principe de l'eau n'est pas étranger au phénix, car Epiphane, dans le Physiologus, place la demeure de l'oiseau en Orient, dans une baie du fleuve Océan, et Philostrate le représente comme un cygne habitant le marais, qui se chante à lui-même son chant d'adieu et de mort. Cependant l'animal s'élève au dessus de l'eau, il accompagne le soleil ; ces plumes sont de pourpre et d'or ; sur ces ailes est écrit le mot (en grec dans le texte) (lumineux semblable à la lumière). Son origine marine s'efface totalement derrière sa nature lumineuse. La matière est entièrement surmontée par l'immatériel. Toutes les scories de la mortalité sont éliminées par le feu. De la cendre un fils est né. Le soleil confère sa force à la myrrhe et à l'encens, force déployée dans toute sa beauté par le feu qui consume. Avec une telle nature, l'oiseau solaire est la parfaite image de Zeus d'Héliopolis, de même que le griffon qui garde l'or est l'image du pouvoir solaire apollinien. C'est justement pourquoi l'arrivée du phénix en Egypte put être liée à la conclusion de la grande année en cours, ainsi qu'au commencement de la suivante. Dans sa pure nature métaphysique, l'oiseau solaire se rattache à l'idée du temps abstrait, comme Apollon, tout aussi métaphysique dans son déploiement suprême, est lié au début de l'année cosmique. Nous découvrons dans le phénix l'idée de la grande puissance lumineuse, développée jusqu'à la plus haute incorporéité, elle-même identifiée à la paternité. La maternité se trouve surmontée. Le jeune phénix est né du seul feu, sans mère, comme Athéna de la tête de Zeus ; il est né du feu, dans une clarté beaucoup plus haute que Dionysos. L'œuf maternel n'est plus le principe de vie ; au dessus de lui règne la force fécondante du soleil, dont il a lui-même reçu la nature. C'est ainsi que l'œuf du phénix se distingue (…) des œufs attribués à toutes les mères lunaires (…) où l'œuf a conservé sa nature originelle et matérielle, qui le constitue précisément comme œuf lunaire. Il représente alors le principe originel féminin de la vie matérielle , au dessus duquel on ne s'aurait s'élever. En revanche le phénix s'est dépouillé d'une telle nature, il accueille le principe lumineux masculin, supérieur, si bien qu'il apparaît comme le berceau même du temps, la tombe de ce qui est vieux, l'origine de ce qui est neuf. Dans aucun mythe, plus que dans cette doctrine des prêtres indo-égyptiens sur la " grande année " du phénix, la victoire du principe solaire paternel sur le principe maternel et lunaire n'atteint un tel degré de pureté. (page 132/134)
Johann Jakob Bachofen - " LE DROIT MATERNEL " - Recherche sur la gynécocratie de l'antiquité dans sa nature religieuse et juridique - Editions - L'age d'Homme -